Qu'est ce que la magie
?
Par
VOLTAIRE....
La magie
est encore une science bien plus plausible que l'astrologie et que la doctrine
des génies. Dès qu'on commença à penser qu'il y a dans l'homme un être tout à
fait distinct de la machine, et que l'entendement subsiste après la mort, on
donna à cet entendement un corps délié, subtil, aérien, ressemblant au corps
dans lequel il était logé. Deux raisons toutes naturelles introduisirent cette
opinion: la première, c'est que dans toutes les langues l'âme s'appelait
esprit, souffle, vent: cet esprit, ce souffle, ce vent, était donc quelque
chose de fort mince et de fort délié. La seconde, c'est que si l'âme d'un homme
n'avait pas retenu une forme semblable à celle qu'il possédait pendant sa vie,
on n'aurait pas pu distinguer après la mort l'âme d'un homme d'avec celle d'un
autre.
Cette âme, cette ombre, qui subsistait séparée de son corps, pouvait
très bien se montrer dans l'occasion, revoir les lieux qu'elle avait habités,
visiter ses parents, ses amis, leur parler, les instruire; il n'y avait dans
tout cela aucune incompatibilité. Ce qui est peut paraître.
Les âmes pouvaient très bien enseigner à ceux qu'elles venaient voir, la
manière de les évoquer: elles n'y manquaient pas; et le mot Abraxa, prononcé
avec quelques cérémonies, faisait voir les âmes auxquelles on voulait parler.
Je suppose qu'un Égyptien eût dit à un philosophe: « Je descends en ligne
droite des magiciens de Pharaon, qui changèrent des baguettes en serpents, et
les eaux du Nil en sang: un de mes ancêtres se maria avec la pythonisse
d'Endor, qui évoqua l'ombre de Samuel à la prière du roi Saül: elle communiqua
ses secrets à son mari, qui lui fit part des siens: je possède cet héritage de
père et de mère; ma généalogie est bien avérée; je commande aux ombres et aux
éléments; » le philosophe n'aurait eu autre chose à faire qu'à lui demander sa
protection car si ce philosophe avait voulu nier et disputer, le magicien lui
eût fermé la bouche en lui disant: « Vous ne pouvez nier les faits; mes
ancêtres ont été incontestablement de grands magiciens, et vous n'en doutez
pas; vous n'avez nulle raison pour croire que je sois de pire condition qu'eux,
surtout quand un homme d'honneur comme moi vous assure qu'il est sorcier. »
Le
philosophe aurait pu lui dire: « Faites-moi le plaisir d'évoquer une ombre, de
me faire parler à une âme, de changer cette eau en sang, cette baguette en
serpent. » Le magicien pouvait répondre: « Je ne travaille pas pour les
philosophes; j'ai fait voir des ombres à des dames très respectables, à des
gens simples qui ne disputent point: vous devez croire au moins qu'il est très
possible que j'aie ces secrets, puisque vous êtes forcé d'avouer que mes
ancêtres les ont possédés: ce qui s'est fait autrefois se peut faire
aujourd'hui, et vous devez croire à la magie sans que je sois obligé d'exercer
mon art devant vous. »
Ces raisons sont si bonnes, que tous les peuples ont eu des sorciers. Les plus
grands sorciers étaient payés par l'État pour voir clairement l'avenir dans le
coeur et dans le foie d'un boeuf. Pourquoi donc a-t-on si longtemps puni les
autres de mort? ils faisaient des choses plus merveilleuses; on devait donc les
honorer beaucoup, on devait surtout craindre leur puissance. Rien n'est plus
ridicule que de condamner un vrai magicien à être brûlé; car on devait présumer
qu’il 'il pouvait éteindre le feu, et tordre le cou à ses juges. Tout ce qu'on
pouvait faire, c'était de lui dire: « Mon ami, nous ne vous brûlons pas comme
un sorcier véritable, mais comme un faux sorcier, qui vous vantez d'un art
admirable que vous ne possédez pas; nous vous traitons comme un homme qui
débite de la fausse monnaie: plus nous aimons la bonne, plus nous punissons
ceux qui en donnent de fausse: nous savons très bien qu'y a eu autrefois de
vénérables magiciens, mais nous sommes fondés à croire que vous ne l'êtes pas,
puisque vous vous laissez brûler comme un sot. »
Il est vrai que le magicien poussé à bout pourrait dire: « Ma science ne
s'étend pas jusqu'à éteindre un bûcher sans eau, et jusqu'à donner la mort à
mes juges avec des paroles; je peux seulement évoquer des âmes, lire dans
l'avenir, changer certaines matières en d'autres: mon pouvoir est borné; mais
vous ne devez pas pour cela me brûler à petit feu; c'est comme si vous faisiez
pendre un médecin qui aurait guéri de la fièvre, et qui ne pourrait vous guérir
d'une paralysie. » Mais les juges lui répliqueraient: « Faites-nous donc voir
quelque secret de votre art, ou consentez à être brûlé de bonne grâce. »
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