PACTE
Le Pacte avec le Diable a été fort en vogue au
Moyen Age. On en aurait peut-être oublié l'existence si le Faust de Goethe n'en
avait prolongé la notion jusqu'à nous. Pourtant, aucune pratique n'a eu autant
de vogue ni de mystérieux attrait. On la décrit de mille manières. Toujours
elle comporte une préparation : vie nocturne, alimentation composée de mets
interdits selon les rituels anciens, etc... ; puis, une invocation nécessitant
un matériel variable mais toujours une flamme ou un brasier ; puis enfin la
signature d'un contrat, ou pacte, signé avec du sang provenant du bras gauche.
Les grimoires imaginent d'accompagner ces cérémonies de toutes sortes de
formules consacrées et entremêlées de blasphèmes, et d'en fixer le protocole
d'une manière si complexe que peu de gens se seraient effectivement trouvés en
posture de pouvoir y souscrire. Aussi existe-t-il des pactes tacites et des
équivalents de pacte.
Au vrai, les sorciers ont moins fait pour le diable
que les théologiens eux-mêmes. L'esprit scholastique aimant à classer ot à
clarifier les choses, il se trouve que les démonologues ont dressé à l'usage
des théologiens des tableaux fort utiles à la fois aux adeptes sorciers et aux
chercheurs actuels. De plus, le point de vue des théologiens, auxiliaires de la
justice, ne laisse pas d'être inquiétant par l'acception démesurément large
qu'il accorde au pacte. En effet, relève du Pacte tacite avec le Diable toute
pratique dont on espère un résultat ne procédant ni des lois de la nature ni de
l'intervention divine sollicitée en bonne et due forme. On voit quel danger
permanent auraient couru les inventeurs et quels dangers couraient en fait les
guérisseurs, magiciens et « philosophes » divers. Les mêmes théologiens
considéraient comme équivalent au Pacte le fait de recourir aux services de
ceux qui se trouvent dans le cas de pactiser. On voit tout le parti qu'il était
possible de tirer de cette conception lorsqu'il s'agissait de compromettre un
indésirable. Le Pacte formel, tel que le définissent les théologiens, suppose
un commerce personnel avec le Diable, mais s'entend aussi du fait d'avoir
recours à un invocateur pactisant ou même du fait d'invoquer Satan dans
l'intention. Tous les détails nécessaires ajoutés pour éclairer des décrets,
constituaient un excellent manuel de pactologie.
Le vulgaire, qui ignorait les textes mais
s'imprégnait inconsciemment de la consistance donnée à la chose, ajoutait maint
détail pittoresque dont le meilleur n'est pas toujours resté dans la légende.
On sait toutefois que, selon la croyance populaire, celui qui avait souscrit un
Pacte avec le Diable perdait son double; aussi n'avait-il plus d'image de
lui-même lorsqu'il se regardait dans la glace aussi ne portait-il plus d'ombre
lorsqu'il était au soleil, etc... Les effets bénéfiques du Pacte (jeunesse,
invisibilité, toute-puissance, ubiquité, richesse, séduction, etc...) ne
duraient pas éternellement mais seulement une vingtaine d'années. D'ailleurs,
le Diable raccourcissait quelquefois le délai par pure filouterie ;
inversement, il se faisait bassement duper comme un enfant... Le folklore
allemand est plein de légendes sur les roueries des paysans à l'égard du
Diable. Tel celui-ci, qui fixe pour condition au diable de remplir sa botte
d'or après avoir pris soin d'en ôter la semelle et l'avoir placée au-dessus
d'une immense fosse ; tel cet autre qui promet au diable tout ce qui poussera
sur son champ, mais plante des betteraves et contraint le diable à se contenter
des feuilles, et renouvelle l'exploit l'année suivante en promettant au diable
le dessous du sol mais en plantant, cette fois, du blé.
A côté, ou au-dessus de ces enfantillages, les
grands personnages faisaient les choses plus sérieusement. On connaît le cas
Faust, qui est légendaire, mais est inspiré, dit-on, d'une histoire vraie. La
Bibliothèque Nationale conserve précieusement le Pacte signé du sang d'Urbain
Grandier, l'infortuné prieur de Loudun. La Bibliothèque de l'Arsenal possède
aussi une belle collection de grimoires, sceaux et pantacles diaboliques, qui
donnent en quelque sorte corps à la vérité historique du Pacte. Reste à
expliquer à quoi correspondait réellement ce contrat extraordinaire. A la
vérité, bien des hypothèses sont ouvertes. D'abord, on peut dire que le taux de
réalité concrète du Pacte est le même au minimum que celui de la lutte
d'Abraham avec l'ange, ou que celui de la Tentation de Saint Antoine. Dans des
manifestations de cette envergure ou de cette consistance, il faut opter soit
pour la valeur mythique et symbolique pure, soit pour le phénomène
hallucinatoire, soit pour une réalité concrète d'un ordre quelconque. A
considérer les choses d'un point de vue rationaliste critique, nous savons que
la question remet en jeu l'éternel problème du critérium de la réalité. C'est
une impasse.
On peut considérer le Pacte comme une vérité
pragmatique, comme un concept opérationnel, ou tout autre chose du point de vue
épistémologique. Du point de vue expérimental, on peut plus simplement
rapprocher les éventuelles apparitions du Diable des apparitions concrètes
d'entités. Les voyageurs du Thibet rapportent des choses plus extraordinaires
et disent les avoir vues. Par ailleurs, à la rédaction des pactes ce que nous
savons de la métapsychique justifie assez leurs dires, même si on leur accorde
une large part d'exagération involontaire.
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