HOME

GRIMOIRES 

 

DICTIONNAIRE

SORCELLERIE

DEMONOLOGIE

ARTICLES

 

 

CIDEVILLE

En 1849, la paroisse de Cideville (Seine-Inférieure), fut mise en émoi par les vexations vraiment inouïes dont le curé fut la victime.

 

Cet ecclésiastique avait deux élèves qui se destinaient au Sacerdoce.

 

Un jour, à une vente publique, un berger nommé Thorel, s'approcha du plus jeune de ces enfants et le toucha.

 

Le petit garçon est à peine rentré qu'un ouragan furieux s'abat sur le presbytère. La bourrasque passée des coups de marteau d'une extrême vio­lence se font entendre de tous côtés. Les plafonds, les planchers, les murs eux-mêmes en sont ébranlés.

 

Ces bruits sont tels, qu'on les perçoit à une distance de deux kilomètres. Les habitants du village accourent en foule pour voir ce qui se passe. On se livre aux investigations les plus minutieuses, on visite la maison de la cave au grenier sans le moindre résultat.

 

Puis, on constate qu'une intelligence préside à ce charivari. L'agent mystérieux exécute, comme l'eût fait un chef d'orchestre, battant la mesure sur un meuble, les airs qu'on lui désigne. Rompant ensuite avec les rythmes cadencés, il met en mouvement le mobilier de la cure.

Les fauteuils, les chaises et les tables s'agitent violemment et finissent par former une sorte de barricade.

 

Les chiens sont lancés au plafond, les pincettes se promènent sur le parquet, les livres, les brosses, les couteaux sortent par une fenêtre et rentrent par une autre.

Les fers à repasser s'éloignent de la cheminée et le feu les poursuit; les marteaux voltigent dans tous les sens à la façon d'un oiseau échappé de sa cage.

Les ustensiles d'une toilette quittent l'étagère qu'ils occupent et viennent s'y replacer d'eux-mêmes. Des pupitres très lourds s'entrechoquent et se brisent.

L'un d'eux se précipite chargé de livres sur un des assistants, et, arrivé près de lui, retombe perpendiculairement à ses pieds.

 

Une dame qui habite dans les environs de Cideville et qui a été maintes fois témoin des faits que nous venons de relater se sent tirée par la pointe de sa mante sans qu'elle puisse voir la main du mystificateur.

Le maire est traité avec plus de sans façon encore.

L'agent invisible lui applique sur la cuisse un coup si violent, qu'il pousse malgré lui un cri de douleur.

« Un autre témoin, propriétaire à quatorze lieues de distance du théâtre des événements, se transporte à Cideville, à l'improviste et sans en avoir prévenu qui que ce soit ; après une nuit passée dans la chambre des enfants, il interroge le bruit mystérieux, le fait battre à tous les coins de l'appartement et pose avec lui toutes les conditions d'un dialogue; un coup, par exemple, voudra dire oui, deux coups, voudront dire non ; puis, le nombre des coups signifiera le nombre de lettres, etc., etc. Cela bien convenu, le témoin se fait frapper toutes celles qui composent ses nom, prénoms et ceux de ses enfants, son âge et le leur, par an, mois, jours, le nom de sa commune, etc. Tout cela se frappe avec tant de justesse et de rapidité, que le témoin se voit obligé lui-même de conjurer l'agent mystérieux d'y apporter plus de lenteur, afin qu'il puisse vérifier tous ses dires, qui se trouvent enfin de la plus complète exacti­tude. Ce témoin, écrit M. de Mirville, c'était nous-même.

 

Les beaux esprits qui ont la prétention de tout savoir et de tout expliquer ne manqueront pas de nous dire que le visiteur inspirait lui-même à ce qu'il appelle un agent mystérieux les ripostes qu'il en recevait. Comment l'eût-il fait, puisqu'il ne pouvait en constater l'exactitude qu'après y avoir réfléchi ?

 

Un vicaire de Saint-Roch, de passage à Yvetot et absolument inconnu dans le pays, se rend à son tour à Cideville et interroge l'invisible qui répond à toutes ses questions. Or, le questionneur est obligé, de retour à Paris, de consulter les registres de l'état civil pour savoir que son interlocuteur a dit vrai.

 

Le plus jeune des deux enfants qui habitent le presbytère a surtout à souffrir des obsessions du mystérieux visiteur. Tantôt il se plaint qu'un poids énorme pèse sur ses épaules, tantôt que sa poitrine est violemment comprimée.

Il dit, à diverses re­prises, qu'il voit constamment derrière lui l'ombre d'un homme en blouse dont la figure lui est inconnue.

 

De son côté, un des ecclésiastiques présents au presbytère aperçoit une colonne grisâtre qui se déplace, serpente, et s'échappe en sifflant par les fentes de la porte ou le trou de la serrure pour se soustraire aux poursuites des assistants.

 

Cette persécution eut pour résultat de jeter l'en­fant dans des crises nerveuses qui ne tardèrent pas à devenir inquiétantes.

 

Un jour, il voit une main noire descendre par la cheminée. A peine a-t-il signalé sa présence, qu'il reçoit un soufflet dont tout le monde entend le bruit. La joue reste longtemps rouge, tant le coup a été violent.

 

Quelques jours après, plusieurs ecclésiastiques se réunissent au presbytère et prient pour obtenir de Dieu la cessation du fléau.

Voyant que la prière était inefficace, l'un d'eux propose à ses confrères de s'armer de pointes et de poursuivre l'esprit malfaisant.

 

Cet escrime d'un nouveau genre dure depuis près de vingt minutes sans que l'on ait ob­tenu le moindre résultat.

Mais voilà qu'un coup plus rapidement et plus habilement porté fait jaillir une flamme, tandis qu'une fumée intense remplit la salle. Les combattants sont obligés d'ouvrir la fenêtre pour ne pas être asphyxiés.

 

Puis, la lutte recommence. Les pointes manoeuvrent vigoureusement. Tout à coup un gémissement se fait entendre accompagné du mot pardon.

 

« Pardon, reprennent les pieux duellistes, oui, certes, nous te pardonnons. Nous ferons mieux, nous passerons la nuit en prières, afin que Dieu te pardonne à son tour; mais à une condition, c'est que tu viendras demain, toi-même en personne, demander pardon à cet enfant...Nous pardonnes-tu à tous?... Vous êtes donc plusieurs? Nous sommes cinq, y compris le berger « Nous pardonnons à tous. »

 

Revenons en arrière et rappelons un fait qui précéda ces manifestations, fait insignifiant en apparence, mais d'une importance capitale pour l'intelligence de ce récit.

 

Un jour du mois de mars 1849, M. le curé de Cideville rencontra chez un de ses paroissiens alors alité un de ces guérisseurs au secret auxquels le peuple des campagnes attribue d'ordinaire un pouvoir mystérieux. Le prêtre qui savait qu'un autre malade s'était mal trouvé du traitement que lui avait fait suivre le docteur ès-sorcellerie, renvoya le personnage sans trop de ménagements.

Tout se borna là. Mais le guérisseur, ayant continué son métier dans des conditions malheureuses, se vit appréhendé par dame justice et condamné à deux ans de prison. Supposant que le curé n'était pas étranger à sa mésaventure, il proféra des me­naces contre lui.

 

Plus tard, le berger Thorel, dont nous avons déjà parlé, répétait à qui voulait l'entendre, que le prêtre pourrait bien se repentir de sa conduite, et qu'il serait, lui Thorel, chargé de venger le sorcier son ami.

 

Cela dit, reprenons le récit des événements là où nous l'avons laissé en ouvrant cette parenthèse.

Le lendemain du soir où l'invisible est blessé, on frappe à la porte du presbytère. Thorel se présente, la tête basse, l'attitude embarrassée. On voit qu'il cherche à dissimuler avec son chapeau un côté de sa figure. Mais il ne parvient pas à cacher entièrement les écorchures saignantes dont son visage est sillonné. En l'apercevant, l'enfant s'écrie : « Voilà l'homme qui me poursuit depuis quinze jours ! »

 

Laissons de nouveau la parole à M. de Mirville :

« Que voulez-vous, Thorel ? lui dit M. le curé.

Je viens... Je viens de la part de mon maître chercher le petit orgue que vous avez ici.

Non, Thorel, non, on n'a pas pu vous donner cet ordre là; encore une fois, ce n'est pas pour cela que vous venez ici ; que voulez-vous ? Mais aupa­ravant, d'où vous viennent ces blessures, qui donc vous les a faites ? Cela ne vous regarde pas ; je ne veux pas le dire. — Dites donc ce que vous voulez faire ; soyez franc, dites que vous venez demander pardon à cet enfant; faites-le donc et mettez-vous à genoux. Eh bien, pardon, dit Thorel, en tombant à genoux. Et tout en demandant pardon, il se traîne et cherche à saisir l'en­fant par sa blouse. Il y parvient, et les témoins constatent qu'à partir de ce moment, les souffrances de l'enfant et les bruits mystérieux redoublent au presbytère de Cideville.

 

Le curé engage Thorel à se rendre à la mairie. Celui-ci répond à l'invitation, et là, en présence de plusieurs personnes, il tombe de nouveau à genoux et implore son pardon ; mais, comme il l'avait fait à la cure, il se traîne sur le parquet et s'efforce de toucher l'abbé Tinel, qui lui signifie de n'en rien faire, s'il tient à ne pas être frappé. Thorel dédaigne l'avertissement et continue sa manoeuvre jusqu'au moment où le curé, acculé dans un coin de la salle, met sa menace à exé­cution et lui porte trois coups de canne sur les bras.

 

Quelques jours après, le berger se rend au do­micile du maire et prie le magistrat municipal d'intervenir auprès de l'abbé Tinel.

 

Priez-le, lui dit-il, d'en rester là de l'affaire.

 

Dans une autre circonstance, il lui avoue que tout le mal remonte à G... le guérisseur.

 

A sa sortie de prison, poursuit-il, il est venu me voir ; il en veut à M. le curé, parce qu'il l'a empéché de gagner son pain en le renvoyant de chez un ma­lade de la commune qu'il voulait guerir. M. le curé a eu tort, car G... est un homme très instruit, très savant, il peut lutter contre un prêtre. M. le curé voudrait bien qu'on l'instruisit, et s'il voulait payer un café, je le débarrasserais de tout ce qui se passe au presbytère. »

 

Si on lui reprochait sa conduite, il répondait : « Je le veux ainsi, moi, cela me plait comme cela. » Quand on lui demandait pourquoi il choisissait pour victime un pauvre enfant innocent, au lieu de s'en prendre au curé ; mais parce que, disait-il, M. le curé a le moyen de vivre avec ces deux en­fants. Il faut donc qu'ils partent. Ils partiront et alors tout sera fini.

L'aveu était formel.

 

Le passé de Thorel venait d'ailleurs à l'appui de ses dires et des accusations dont il était l'objet de la part du curé et de la population.

 

Un habitant de Cideville déclara devant le juge de paix que, se promenant un jour avec la soeur de l'abbé Tinel et les deux enfants, au milieu de la plaine, des cailloux lancés par une force invi­sible venaient tomber à leurs pieds sans les toucher.

 

Un autre affirmait que, se trouvant aux champs avec Thorel, ce dernier lui disait : « Chaque fois que je frapperai du poing sur ma cabane, tu tomberas. Et je tombais, ajoutait le témoin, en même temps que je sentais quelque chose me serrer la gorge.

 

Si lorsque les meubles de la cure dansaient une sarabande infernale, les enfants se mettaient à prier, l'auteur insaisissable de ce vacarme proférait des blasphèmes horribles accompagnés de menaces qu'il mettait souvent à exécution. Un jour, entre autres, un des élèves sentit deux mains lui prendre la tête et la retourner avec une telle violence, que les personnes présentes se hâtèrent de lui porter secours.

 

L'archevêque de Rouen, voulant mettre un terme à cet état de choses, pria le curé de renvoyer les enfants à leurs familles. A partir de ce moment tout rentra dans le calme.

Thorel intenta un procès en diffamation à l'abbé Tinel. L'affaire fut portée devant le juge de paix d'Yvetot.

 

Les témoins cités à la requête du curé attestèrent sous la foi du serment la réalité des faits que nous venons de raconter et de plusieurs autres non moins étranges. Le berger fut débouté de son action et condamné aux frais.

 

Extrait de "La sorcellerie " par L. Bertrand - 1899 - Source B.N.F. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 HOME

 

 

 LIENS

CONTACT

 

Copyright ©