BISCLAVARET

 

C’est le nom que donnent les Bretons au loup-garou.

On le dérive de bleiz-garv ( loup méchant ).

M. Edouard d’Anglemont, dans Légendes françaises, nous fait ce récit :

 

Mes pas de l’Armorique ont foulé les rivages ;

J’ai vu ses hauts genêts et ses landes sauvages ;

J’ai vu ses grands marais peuplés de mille oiseaux,

 

Qui se croisent dans l’air ou fuyaient sous les eaux ;

J’ai vu ses habitant former de lourdes danses,

Dont l’aigre biniou mesurait les cadences ;

Et souvent sous l’abri d’un gothique manoir,

Tandis que dans le lait je trempais un pain noir,

Que la crêpe pour moi, sous la main d’une femme,

Naissait en frémissant au milieu de la flemme,

Sur l’escabeau de bois auprès de l’âtre assis,

J’ai du pâtre breton entendu les récits ;

Et l’un d’eux est surtout resté dans ma mémoire.

Si l’étrange vous plaît, écoutez cette histoire :

 

I

Non loin du champ témoin d’un combat immortel,

S’élevait autrefois un superbe castel ;

Là, près de son épouse aimable, jeune et belle,

Le comte de Kervan, brûlant d’amour pour elle,

Bienfaisant, adoré de ses vassaux nombreux,

Vivait, et de ses jours le cours semblait heureux ;

Mais pourtant quelquefois la charmante Comtesse

Surprenait sur son front des marques de tristesse,

Surtout quand, seul sorti, il rentrait chaque soir,

Epuisé de fatigue et pressé de s’asseoir.

Et, comme il revenait d’une course nocturne,

Son épouse à l’aspect de son air taciturne :

 

- La souffrance se peint sur ton front obscurci !

Qui peut donc, cher époux, te chagriner ainsi ?

Et pourquoi vers la nuit chercher la solitude

Quand de te consoler je ferais mon étude ?

Parle…Je ne le puis, cessons cet entretien.

- Prouve-moi ton amour, ne me déguise rien ;

La peine est plus légère alors qu’on la partage :

Ah ! ne me cache pas la tienne d’avantage.

- Tu le veux, apprends donc cet horrible secret :

Ton époux chaque soir devient bisclavaret,

- O ciel ! qu’as-tu donc fait ? – Je suis exempt de crime ;

Du forfait d’un aïeul vois en moi la victime :

Il égorgea son frère, et le ciel en courroux

Le jeta pour sa vie au rang des loups-garous ;

Et qui plus est, depuis les mâles de sa race

Sont une heure par jours soumis à sa disgrâce ;

Et si par un hasard que je ne prévois point,

Un ennemi cruel dérobait le pourpoint

Que je dépouille et cache en un secret asile,

Avant que dans les bois chaque soir je m’exile,

Il me faudrait, dit-on rester bisclavaret,

Tant que de cet habit le sort me priverait.

La Comtesse, à ces mots, par un tendre langage,

Aux yeux de son époux doux et précieux gage

D’un amour éternel, d’un avenir serein,

Ecarte de son front le voile du chagrin.

Il éprouve en son âme une joie inconnue ;

Ainsi lorsqu’emportant une orageuse nue,

Le vent chasse la pluie, aussitôt les forêts

Se parent d’un éclat plus riant et plus frais.

 

II

Homme, que je te plains si tu livres ton âme

A l’espoir d’être aimé sans cesse d’une femme,

Surtout lorsque son cœur une fois a changé !

Sous les drapeaux français depuis un an rangé,

Arthur, jeune Breton d’une origine illustre,

Dans la guerre de Naple a trouvé quelque lustre.

Il revient chevalier aux champs de ses aïeux ;

C’est là que de longs pleurs ont scellés ses adieux ;

Qu’une jeune beauté, lorsqu’il s’éloigna d’elle,

Lui promit par serment de lui rester fidèle.

Il accourt, il revoit le paternel séjour ;

Il apprend que l’objet d’un fanatique amour

De ses engagements n’avait point tenu compte !

Cette amante parjure est l’épouse d’un Comte !

Saisi par les transports d’un désespoir sans frein,

Sous les habits grossiers d’un obscur pèlerin,

A voir celle qu’il aime Arthur se détermine,

Vers le château du Comte aussitôt s’achemine ;

Il vole ; au jour mourant il frappe ; on l’introduit,

Et dans la grande salle un varlet le conduit :

Là, devant des drapeaux, des portraits de famille,

La belle châtelaine, animant une aiguille,

De la laine avec art variant les couleurs,

Sur un tissu de lin fait éclore une fleur,

Et cherchant à cacher le trouble qui l’agite :

- Pèlerin, pour la nuit, vous demandez un gîte ?

- Ce n’est pas pour cela, Madame, que je viens.

Vous souvient-il d’Arthur ?- O ciel ! – Tu t’en souviens,

Tu te souviens aussi que tu me fis entendre,

Au jour de mon départ, le serment la plus tendre…

Il était vain !...Au pied du Christ, à Ploërmel,

Tu l’avais pourtant fait au nom de saint Armel !

Ai-je donc mérité cette cruelle injure ?

Devais-je donc m’attendre à te trouver parjure,

Lorsque, pour t’obtenir d’un père ambitieux,

Je cherchais des combats les honneurs périlleux ?

Eh bien ! J’oublierai tout, si le sort nous rassemble !

Qu’ensemble nous vivions, que nous mourrions ensemble !

- Arthur, pardonne-moi ; l’on a forcé mes vœux ;

Celle qui t’aime encore cède à ce que tu veux.

- Exilons nous, cherchons quelque plage ignorée.

- Non, ma faute peut être autrement réparée :

Le Comte maintenant erre dans la forêt ;

Viens, viens, que mon mari reste bisclavaret.

Et, pleine du dessein que sa bouche lui conte,

Elle court et saisit les vêtements du Comte ;

Et sous la forme humaine il ne reparut pas.

Son épouse sema le bruit de son trépas,

Montra de la douleur l’apparence trompeuse,

Ordonna les apprêts d’une messe pompeuse,

Et fit, sur le perron, exposer un cercueil,

Entouré de varlets vêtus d’habits de deuil,

Et couvert d’un drap noir semé de blanches larmes,

Ou du Comte gisaient le mantel et les armes.

Le convoi funéraire, aux lueurs des flambeaux,

Partit le lendemain pour le champ des tombeaux ;

A ce lugubre aspect tous les cœurs se serrèrent,

Les villageois surtout d’émurent et pleurèrent ;

Et lorsque le cercueil de la corde glissa,

Et sous les flots de terre au tombeau s’enfonça,

Sur le faîte anguleux du mur du cimetière,

Un énorme loup noir dressant tête altière,

Aux prières des morts mêla des hurlements,

Dont l’église trembla jusqu’en ses fondements !

 

III

Deux jours ont fui : non loin du chêne de Mi-voie,

Des limiers pleins de feux courent sur une voie,

Et le duc de Bretagne et quelques chevaliers,

Les suivent à travers les taillis, les halliers,

Courbés sur leurs chevaux que la sueur sillonne,

Que de ses coups pressés l’éperon aiguillonne,

Mais quel est l’animal dont la puissante odeur

De la meute du prince excite ainsi l’ardeur ?

C’est encore un loup noir et grand ! Comme il va vite !

Il rit en cent détours des limiers qu’il évite ;

Et bornant tout à coup son essor vagabond,

Près du coursier ducal se jette d’un seul bond,

Prend un air suppliant, pousse des cris étranges,

Mais qui rappellent ceux d’un enfant sous les langes !

Contre lui les épieux sont tournés sur le champ,

Mais le Duc, attendri par son aspect touchant,

Le fait charger vivant des nœuds d’une courroie,

Et Nantes le revoit bientôt avec sa proie,

Qui, docile à son frein, douce comme un agneau,

Semble s’accommoder de son destin nouveau.

 

IV

C’est toujours vainement que l’enfant de la terre

Enveloppe un forfait du plus secret mystère !

Celui dont en tous lieux l’œil veille incessamment,

Fait luire tôt ou tard le jour du châtiment !

Un an s’est écoule ; sur les rives de l’Erdre

Baigne, en cherchant la Loire ou ses eaux vont se perdre,

Dans le pré d’Aniane, un cirque est préparé ;

Sur les bancs de velours dont il est entouré,

La noblesse bretonne en silence se place ;

Tandis qu’en bouillonnant des flots de populace

Garnissent les coteaux, les arbres d’alentour,

Et de la cathédrale envahissent la tour.

Au nord on a dressé des arcades fleuries,

Au sud un riche dais décoré d’armoiries,

De rouges panonceaux, d’armes, de boucliers,

Sous lequel, au milieu de pages, d’écuyers,

Le Duc siège, vêtu d’or, de pourpre et de soie ;

Sur sa toque écarlate, un blanc panache ondoie ;

On voit, auprès de lui, cet énorme loup noir

Qu’il trouva près des lieux où vainquit Beaumanoir,

Qui, devenu depuis animal domestique,

La nuit veille en la cour de son palais gothique,

Et le jour à la chasse, aux fêtes, aux repas,

Comme un fidèle chien accompagne ses pas.

Mais des clairons bruyants la fanfare guerrière

Retentit ; aussitôt l’on ouvre la barrière :

Sous les arches de fleurs, couvert d’or et d’acier,

Arthur passe monté sur un brillant coursier ;

Pour saluer le Duc il abaisse sa lance,

Et le loup aussitôt dans l’arène s’élance,

D’un coup rapide et sûr éventre le cheval !

Arthur surpris combat cet étrange rival ;

Il se sert contre lui de la lance et du glaive,

Il le frappe ; le loup tombe, puis se relève,

Saisit son adversaire à la gorge et l’abat ;

Et c’est en vain qu’Arthur contre lui se débat,

Et cherche à repousser son ardente furie ;

C’est en vain que la foule et s’épouvante et crie,

A l’aspect du danger que le chevalier court,

Que pour la secourir on se hâte, on accourt ;

Les dents de l’animal déchirent sa cuirasse,

Impriment dans ses flancs une profonde trace ;

Et, sentant s’approcher le moment de la mort,

Le chevalier, vaincu par le cri du remord,

Fait le public aveu de la coupable trame,

Tandis qu’en l’écoutant la Comtesse rend l’âme !

On retrouva bientôt les vêtements soustraits,

Et du Comte à l’instant le loup reprit les traits.

……….. L’histoire ne raconte pas ce qu’il arriva au Comte…………. 

 

 

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